Fabrice Epelboin est un entrepreneur, enseignant et expert français en médias sociaux, marketing numérique et cybersécurité. Alexis Poulin le questionne à propos de la manière dont les plateformes technologiques interagissent avec les gouvernements et influencent l’opinion publique et de l’avènement de Musk suite à l’élection de Trump au cœur de l’administration US et de la guerre de l’IA.
L’Intelligence Artificielle : une course mondiale aux enjeux stratégiques
L’intelligence artificielle (IA) n’est plus une curiosité technologique, mais un enjeu stratégique mondial. Les États-Unis dominent grâce à des investissements colossaux, mesurés en milliards de dollars, avec des acteurs majeurs comme OpenAI, Google, et Elon Musk. Ce dernier a innové en construisant des méga-ordinateurs en quelques semaines, là où d’autres mettaient des mois, illustrant que l’innovation réside autant dans l’efficacité que dans les ressources.
La Chine, bien que privée des processeurs les plus récents, a su contourner ses contraintes technologiques grâce à une créativité imposée, surprenant par des résultats équivalents à ceux des Américains avec des budgets moindres. L’Europe, en revanche, peine à exister dans cette course. Mistral, présenté comme un espoir européen, a vu Microsoft y entrer, questionnant ainsi sa souveraineté technologique.
L’Échec de Lucie et les limites de l’Europe
Lucie, un projet d’IA français, a illustré l’incapacité européenne à rivaliser. Lancée prématurément sous pression politique, elle s’est rapidement discréditée par son immaturité technologique. Plus qu’un problème de financement, c’est un échec de gestion stratégique et en termes de communication, aggravé par des pratiques où les ressources publiques bénéficient à des cercles d’initiés plutôt qu’à des compétences réelles. L’Europe semble piégée par sa propre bureaucratie, incapable d’exploiter le potentiel de ses ingénieurs, souvent attirés par des entreprises américaines.
Le pillage des données : entre éthique et efficacité
Un contraste saisissant émerge entre les modèles d’apprentissage des IA. OpenAI et la Chine n’ont pas hésité à exploiter massivement des données, souvent en violation des droits de propriété intellectuelle. À l’inverse, Lucie a opté pour des données « propres », légales mais limitées, ce qui l’a inévitablement placée en position de faiblesse. Cette réalité interroge : peut-on concilier compétitivité technologique et éthique ? La réponse semble cynique : les Jeux Olympiques de l’IA se jouent avec des « doping data » implicites.
Le rôle ambigu des États et la corruption systémique
L’État français est décrit comme un acteur inefficace, gangrené par la corruption et des choix politiques favorisant des intérêts privés au détriment de la compétitivité nationale. La gestion des données de santé françaises, confiées à Microsoft, symbolise cette dérive : un transfert de souveraineté stratégique sous couvert de modernisation.
Le constat est brutal : la France et l’Europe sont des figurants dans la géopolitique de l’IA, oscillant entre naïveté éthique et compromissions politiques.
L’IA et la transformation du travail : vers une déflagration sociale
L’IA promet une transformation radicale du marché du travail. Des professions intellectuelles, comme les notaires, avocats, journalistes, ou enseignants, voient leur modèle économique menacé. La blockchain pourrait rendre les notaires obsolètes, tandis que des IA avancées synthétisent des dossiers juridiques en quelques heures.
Ce bouleversement annonce une destruction massive d’emplois sans création compensatoire immédiate, posant la question d’une refonte du contrat social. Sam Altman évoque un revenu universel, mais cela reste une réponse partielle à un problème systémique.
Politique et IA : entre ignorance et résistance
Les élites politiques apparaissent dépassées par les enjeux de l’IA. Incapables de comprendre la technologie qu’elles prétendent réguler, elles tentent de freiner son impact plutôt que d’en exploiter le potentiel. L’illusion d’une régulation efficace masque leur incompétence à anticiper les transformations sociétales en cours.
Cette incapacité à saisir la portée de l’IA s’inscrit dans une dynamique plus large de déconnexion entre les élites et le peuple, exacerbée par des crises récentes comme celle des Gilets jaunes ou la gestion de la pandémie de COVID-19.
Un chaos informationnel imminent : la fin des illusions démocratiques ?
Nous entrons dans une ère de chaos informationnel. La défiance envers les médias traditionnels se transforme en rejet viscéral. La presse, incapable d’assumer son rôle de contre-pouvoir, est perçue comme complice des manipulations d’État. Le fact-checking, initialement conçu pour protéger l’intégrité de l’information, est devenu un outil de censure dissimulée.
L’IA pourrait être un vecteur de transparence, mais aussi un amplificateur de désinformation. Elon Musk incarne cette dualité : promoteur d’une transparence radicale, il pose aussi la question d’un nouveau totalitarisme technologique. Le risque n’est plus seulement la manipulation des masses, mais la captation des processus démocratiques par des algorithmes.
Vers un avenir incertain : entre résignation et résilience
Face à ce constat pessimiste, l’espoir réside dans l’appropriation individuelle des outils d’IA. L’État et les institutions sont perçus comme des entités obsolètes, incapables de répondre aux défis contemporains. L’avenir appartient à ceux qui sauront intégrer l’IA dans leurs processus cognitifs, non comme une menace, mais comme une extension de leurs capacités.
Cependant, cette adaptation nécessite une vigilance critique. La facilité d’accès à l’information ne doit pas éroder la capacité à questionner, à douter, et à résister aux narratifs dominants.
Dans ce monde en mutation, la seule certitude est l’incertitude elle-même.
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