La question posée par Alexandre Jardin
Alexandre Jardin fait appel, non sans quelque sous-entendu facétieux (nous pousser à nous approprier le sujet), à « l’intelligence collective ». Voici sa question en vidéo sur X :
« En ce moment, je vais discuter avec de vieux amis très écologistes, très sincèrement écologistes, ce sont des gens de gauche, et je vais discuter avec eux de cette loi qui crée des ZFE en disant vous êtes en train d’exclure, de pratiquer la ségrégation sociale et d’exclure des villes, des millions de gens qui n’ont pas les moyens de changer de voiture et qui ne savent pas comment faire. Et puis, vous êtes en train d’attenter à leur dignité en inventant des systèmes de dérogation qui font que les classes populaires, tout à coup, doivent demander des autorisations administratives pour bouger.
Et je leur dis, mais ce n’est pas conforme à vos valeurs. Je vous connais depuis longtemps. Et je leur laisse un temps de réaction pour qu’ils me disent comment ils réagissent à ce que je leur dis.
Il y a un problème social. Il y a un problème de dignité, de respect. Et là, il y a un blanc.
Ils me disent, « oui, mais c’est impératif, il faut les ZFE, parce que la planète »… Je leur dis, « mais attendez, je vous ramène à vos valeurs. Vous êtes en train de trahir vos valeurs, les valeurs de la République, les valeurs pour lesquelles vous étiez engagé et ils ne réagissent pas ».
Comment est-ce que vous expliquez cette espèce de blanc mental qui fait que des gens qui ne sont pas méchants au départ finissent par devenir d’une cruauté incroyable avec le corps social, avec les milieux populaires français ? Qu’est-ce qui se passe ? Comment vous l’expliquez ? C’est pour moi un phénomène incroyable, parce que persévérer alors qu’on les met en garde, C’est hallucinant ! Comment vous expliquez ça ? »
Notre réponse :
Ainsi donc, il s’avère, Ô surprise, que des écolo-bobo-gauchos, pourtant attachés de longue date à l’égalité et à la justice sociale — paraissent insensibles à l’exclusion économique et sociale que peuvent engendrer certaines politiques environnementales débiles comme les ZFE.
OK, explorons plusieurs phénomènes psychologiques et sociaux. Pistes d’analyse :
Ce type de postures sont souvent la résultante de mécanismes psychologiques (dissonance cognitive, rationalisation, effets de groupe) qui conduisent des personnes, sincèrement convaincues de défendre l’intérêt général, à ignorer ou minimiser l’impact social d’une loi.
1) La dissonance cognitive et le « gel » intérieur
La dissonance cognitive se produit quand une personne est confrontée à deux convictions contradictoires. Ici, on a d’un côté la forte conviction qu’il faut agir pour préserver l’environnement, et de l’autre la valeur de solidarité avec les classes populaires. Comme ces deux principes semblent entrer en conflit (interdire certaines voitures peut pénaliser les personnes les plus modestes) la première réaction inconfortable peut être l’évitement ou le « blanc mental ».
Exemple concret :
•Au lieu de remettre en question la manière dont sont mises en œuvre les ZFE, on peut plus facilement se réfugier dans l’idée qu’il n’y a pas d’alternative (« c’est impératif pour sauver la planète ») ou se taire parce que relever la contradiction génère un malaise.
2) Le phénomène de « silo idéologique »
Dans certains groupes militants, un effet de bulle ou de silo peut se créer : on privilégie l’entre-soi, et on finit par valider mutuellement des positions qui parfois ignorent d’autres réalités sociales. Quand une valeur (ici la protection de l’environnement) prend le dessus, elle peut éclipser d’autres préoccupations fondamentales (la solidarité, l’égalité…). Ainsi, vos amis peuvent sembler « fermer les yeux » sur l’aspect social pour préserver la cohérence du groupe et éviter les conflits internes.
3) La « fin justifie les moyens » : justification morale
Un autre angle d’analyse est ce que certains théoriciens appellent le phénomène de rationalisation : si l’objectif est perçu comme impérieux (l’urgence climatique), on finit par accepter des mesures qui entrent en contradiction avec d’autres principes moraux. Les sacrifices imposés aux plus modestes sont alors justifiés par la grandeur de la cause écologique.
Alors, pourquoi ce silence embarrassé ?
– Parce que souvent, face à ces contradictions, la tension est trop forte, et le silence ou le blocage peuvent être une façon de ne pas se confronter à la culpabilité de trahir d’autres valeurs.
4) Le poids des politiques publiques et la « déresponsabilisation » personnelle
Il arrive aussi que des individus se sentent déresponsabilisés dès lors que la décision est portée par le législateur ou par des autorités publiques. « Ce n’est pas moi, c’est la loi » : on se contente de dire que la mesure doit s’appliquer, tout en se dégageant de la question morale ou des conséquences concrètes.