Il est de certains propos qui en disent long – et qui pourtant, peuvent passer inaperçus. Réaction à un propos émis par David Lisnard (LR et maire de Cannes)
Cette intervention de David Lisnard apparaît frappée au coin du bon sens et pourtant…
C’est sa dernière phrase (qui elle aussi semble aller de soi), qui révèle et concentre en effet le véritable problème de fond :
« Et à un moment donné la démocratie c’est aussi d’essayer de prendre le pouvoir pour faire changer ça… »
Non, Monsieur Lisnard, comme tous vos collègues si bien intentionnés vous vous êtes en quelque sorte trahi : si vous vouliez vraiment nous aider à redevenir « propriétaires de nos vies« , votre réflexe eut été de dire « RENDRE le pouvoir » et non pas le « prendre« .
Mais c’est à nous aussi, d’ouvrir les yeux
… Et d’oser nous saisir de notre destinée au lieu de nous en remettre à ces sympathiques discours qui sont autant de customisations médiatiques plus ou moins gratifiantes.
À partir du moment où l’on attend, où l’on espère, où l’on pense même, devoir élire l’homme providentiel, et que celui-ci parle de « prendre le pouvoir » et non pas de le RENDRE, cela nous indique explicitement que nous ne sommes pas, et ne serons probablement jamais, « propriétaires de nos vies ».
Un jour peut-être…
…Le niveau de conscience collective sera-t-il suffisamment élevé pour comprendre quelle aberration structurelle et systémique représente ce dispositif au cœur duquel s’agitent des partis, qui nous oblige à élire de fragiles bipèdes humains pour leur confier le soin de défendre tout un bloc d’idées univoques : à savoir, une vision fastueusement holistique, formée selon la ligne directrice d’un parti qui n’a lui-même rien de démocratique. Une ligne supposée mettre tout le monde d’accord : drôle d’aberration relevant tout au mieux d’une vue de l’esprit.
L’hystérisation partisane
Et puis, sans oublier qu’une fois nos charismatiques meneurs élus, on estime tout à fait normal de leur sous-traiter les détails (sachant dit-on, que c’est bien là que se cache le Diable, dans les détails) de la mise en œuvre de leurs ambitions de départ : vous savez, ces promesses faites pour gagner sans qu’on ait la certitude qu’elles puissent être tenues une fois confrontées au réalités d’une gouvernance au bord de la congestion apoplexique.
Le tout, par le truchement de ces structures encore plus faillibles, tyranniques, hystérisantes, que sont les « partis »…
Arrêtons l’élection, passons au vote : c’est pourtant simple
Alors même que nous devrions mettre en place le système de démocratie directe permettant de voter pour les idées et les plans d’action, et non plus pour les hommes. Là oui, nous pourrions peut-être nous penser comme « propriétaires » de nos vies… Entendre par là : citoyens adultes.
Or pour le moment, notre niveau de programmation mentale, notre idiosyncrasie culturelle sont tels, que l’on peut souscrire aveuglément à un discours aussi foncièrement contradictoire que celui de Monsieur Lisnard, programmé pour séduire, qui illustre simplement avec un brin plus de style et de mots galants cette sentence de Paul Valéry :
« La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. »
Laissez-moi le pouvoir, je vous concède la propriété de vos vies – semble-t-il nous dire.
Grand prince !
Rares seront les esprits lucides en mesure de déchiffrer le piège.
Or faut-il le rappeler avec Émile Chartier, tout pouvoir rend fou. Comprenez bien de quel pouvoir il s’agit : non pas celui dont je dispose sur ma propre vie, mais celui, concentré en quelques mains, qui engage un grand incalculable de vies.
Une prise de risque insensée
Alors, quand bien même serait-il tenu par une personne des plus respectables, nous ne réalisons pas encore à quel point ce discours est aberrant, intrinsèquement démagogue, à l’échelle de la dépossession dont nous faisons l’objet dans les faits, et des risques délirants que nous encourrons en faisant ainsi confiance à des représentants qui conditionneraient à leur bon vouloir, une fois élus, toutes nos attentes dans leurs mains (et leurs fragiles promesses).
De cette énergie folle que nous investissons pour commenter leurs frasques
Ce qui est probablement le plus exaspérant dans cette configuration qui se perpétue encore et encore, c’est que nous n’ayons toujours pas réussi à constater la véritable, et la plus absurde fatalité à laquelle nous nous sommes collectivement condamnés.
Je parle de cette étrange et si familière malédiction en forme de prophétie auto-réalisatrice (validant à elle seule l’hypothèse de l’éternel retour), qui nous pousse à chroniquer, décrire, déplorer tout ce qui relève des failles pourtant prévisibles de ces caciques auxquels nous avons tant concédé.
Qu’il s’agisse de trahisons, de conflits de personnes, d’écarts de conduite, d’extravagances, d’accidents de parcours ou d’échecs de bonne foi, les manquements de nos « élus » occupent nos conversations de bistrot : à croire que c’est leur fonction et sue nous ne saurions nous en passer.
L’ordinaire du citoyen cocu
Nous sommes encore persuadés que cette situation d’infantilisation est la normalité. Ainsi, beaucoup apprécieront ce discours de Monsieur Lisnard, qui semble, excusez-moi du peu, nous concéder le droit d’être propriétaires de nos vies pendant que lui, jouant le jeu faussement démocratique qui semble l’arranger, se préoccupera de prendre le pouvoir pour devenir un petit plus propriétaire que nous, pour tout ce qui relève des détails d’intendance de nos destinées collectives.
Quand je considère la Macronie je me désole, quand je me compare je me console – pourrait-on dire en paraphrasant Talleyrand. Certes, après un Macron, toute offre politique consistant à nous promettre le droit pourtant élémentaire de faire ce qu’on veut avec nos vies apparaît comme un vent de liberté !
Tant que, pour commencer, mandats impératifs et révocabilité des élus n’auront pas été mis en place, JAMAIS nous ne serons « propriétaires de nos vies« .
Fabuleux sophisme.