More

    Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes

    Dans un monde où les aspirations à la liberté et à la justice sont souvent étouffées par des régimes autoritaires, l’ouvrage de Srdja Popovic, Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes, se présente comme un guide incontournable pour les mouvements dissidents aspirant à un changement pacifique et durable.

    Qui est Srdja Popovic ?

    Srdja Popovic, figure emblématique de la résistance non violente, a cofondé en 1998 le mouvement serbe Otpor!, qui a joué un rôle déterminant dans la chute de Slobodan Milosevic en 2000. Fort de cette expérience, il a créé le Centre for Applied Nonviolent Action and Strategies (CANVAS) en 2003, une organisation dédiée à la formation de militants pro-démocratie dans plus de 50 pays. Depuis 2013, il partage son expertise en enseignant les fondements de l’activisme non violent à la Harvard Kennedy School.

    Son livre se distingue par un ton à la fois pédagogique et empreint d’humour, rendant la mobilisation accessible aux citoyens ordinaires. L’humour y est présenté comme une arme tactique redoutable pour ridiculiser les oppresseurs, désamorcer la peur et mobiliser sans recourir à la violence. Cette approche s’inspire autant des Monty Python que des travaux de Gene Sharp ou des enseignements de Mohandas Gandhi.

    Les Neuf principes clés

    À travers neuf principes clés, Popovic explore les mécanismes de la désobéissance civile et de la mobilisation citoyenne, en s’appuyant sur des exemples concrets issus de luttes en Serbie, en Ukraine, en Géorgie, au Liban ou encore en Égypte. Loin d’un manifeste abstrait, le livre se veut un manuel pratique, analysant tant les succès que les échecs des mouvements non violents. Il insiste sur l’importance d’une stratégie claire, d’une organisation unifiée et d’un objectif partagé. L’auteur démontre comment des actions simples – graffitis, pastiches, détournements visuels – peuvent déclencher des dynamiques puissantes dans les régimes autoritaires.

    L’un des fondements de sa méthode est la vision à long terme : selon Popovic, une révolution n’a de sens que si elle s’accompagne d’un projet clair pour l’après. Il met en garde contre les soulèvements sans cap politique, qui débouchent sur un vide ou un retour à l’autoritarisme. Pour que l’adhésion populaire soit durable, le changement proposé doit être désirable et crédible.

    L’unité des mouvements est également centrale dans son approche. Il encourage la mobilisation transversale, au-delà des clivages partisans, religieux ou ethniques, et rappelle que la diversité des participants peut devenir une force si elle est organisée autour d’un but commun.

    Pour Popovic, la violence offre au pouvoir un prétexte pour réprimer. À l’inverse, une action non violente, si elle est visible, créative et persistante, fragilise les régimes autoritaires en exposant leurs contradictions. En cela, la non-violence devient un levier de transformation politique plus puissant que la force brute.

    L’auteur insiste sur l’importance de repérer les piliers d’un régime autoritaire – armée, partis, finance, médias – et de les affaiblir par des actions ciblées. Il déconstruit le mythe de l’invincibilité des dictateurs et offre une méthode précise pour engager des luttes citoyennes efficaces.

    En somme, Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes est une lecture essentielle pour quiconque souhaite comprendre et appliquer les principes de la résistance non violente. Ce livre offre des outils concrets et une inspiration précieuse pour les mouvements dissidents cherchant à instaurer un changement démocratique durable.

    Popovic est devenu plus précis par la suite, sur le plan métholologique, au travers d’une collaboration (avec Slobodan Djinovic, Andrej Milivojevic, Hardy Merriman et Ivan Marovic en 2007) au travers d’un ouvrage qui n’a pas encore été – à date – traduit en français : “CANVAS Core Curriculum : A Guide to Effective Nonviolent Struggle. Il s’agit d’un manuel détaillé destiné à structurer, organiser et renforcer les mouvements dissidents non violents.

    En voici l’analyse à toutes fins utiles :

    Présentation générale du concept de lutte non violente selon CANVAS

    De la non-violence stratégique : une arme de combat redoutable pour renverser les dictatures.

    Lorsqu’on évoque le terme « non-violence », l’image spontanée est souvent celle d’un pacifisme naïf, désarmé face aux régimes autoritaires prêts à tout pour conserver leur pouvoir. Pourtant, la méthodologie développée par CANVAS (Center for Applied Nonviolent Action and Strategies), dont le manuel de référence publié en 2007 est devenu une bible pour les dissidents partout dans le monde, propose une approche radicalement différente et redoutablement efficace.

    Fondé par Srdja Popovic et ses compagnons du mouvement Otpor!, à l’origine de la chute de Slobodan Milosevic en Serbie en 2000, CANVAS conceptualise la lutte non violente non pas comme une passivité morale, mais comme une stratégie offensive capable de déstabiliser et finalement démanteler les pouvoirs les plus brutaux. Le manuel « CANVAS Core Curriculum : A Guide to Effective Nonviolent Struggle », rédigé par Srdja Popovic, Slobodan Djinovic, Andrej Milivojevic, Hardy Merriman et Ivan Marovic, a pour ambition d’offrir aux activistes un cadre méthodologique complet, directement inspiré d’expériences réussies et d’échecs soigneusement analysés.

    Contrairement aux idées reçues, la non-violence stratégique selon CANVAS repose sur une compréhension approfondie des dynamiques du pouvoir politique. Son objectif premier est de retirer aux dirigeants autoritaires les piliers essentiels sur lesquels ils s’appuient pour maintenir leur contrôle, tels que l’obéissance passive, la peur, ou encore le soutien tacite ou explicite d’institutions clés comme l’armée, la police, les médias ou le secteur économique. À travers des actions ciblées, créatives et disciplinées, le mouvement dissident met en œuvre des mécanismes puissants qui perturbent ces piliers, neutralisant progressivement le régime.

    Le manuel insiste particulièrement sur la planification rigoureuse des actions et l’importance d’une vision claire du changement souhaité. Chaque lutte non violente doit en effet commencer par définir avec précision le « monde d’après », ce que CANVAS appelle la « Vision de demain » (Vision of Tomorrow). Cette vision constitue une boussole permanente, qui guide les militants tout au long du combat, mais aussi au-delà de la chute éventuelle du régime. Car, insiste le manuel, renverser un dictateur n’est que la première étape : ce qui compte réellement, c’est le modèle politique et social que l’on souhaite instaurer après la victoire.

    CANVAS propose une véritable ingénierie de la rébellion pacifique, basée sur des tactiques éprouvées et une stratégie réaliste. Loin de se limiter à une série d’idées abstraites, cette méthode est appliquée concrètement à travers le monde depuis plus de deux décennies, du Venezuela au Zimbabwe, en passant par l’Égypte ou encore la Birmanie.

    L’efficacité du modèle CANVAS provient notamment de sa capacité à rendre le concept de lutte accessible à tout citoyen ordinaire, démontrant qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des armes, une grande puissance ou un soutien international massif pour gagner contre l’oppression. Avec ses outils pratiques, ses stratégies précises et son approche résolument pragmatique, le manuel de CANVAS redonne du pouvoir à ceux qui se croyaient impuissants, transformant les individus ordinaires en acteurs capables de faire basculer l’Histoire.

    Ainsi, loin des clichés pacifistes, CANVAS démontre que la non-violence peut être une force révolutionnaire décisive, à condition qu’elle soit pensée, organisée et appliquée avec une discipline implacable. Une vision que l’histoire récente n’a cessé de confirmer.

    Les sources du pouvoir et l’art de la désobéissance civile selon CANVAS : comment briser l’obéissance passive

    Comprendre le pouvoir, tel qu’il est exercé par les régimes autoritaires, est le point central du manuel stratégique développé par CANVAS. En effet, derrière la façade souvent impressionnante et apparemment indestructible des dictatures, se cache en réalité un équilibre précaire, une illusion fondée sur l’obéissance passive des citoyens. Briser cette obéissance constitue la clé de voûte de toute lutte non violente efficace.

    Le manuel CANVAS, nourri des théories du politologue Gene Sharp, identifie clairement six sources principales du pouvoir politique sur lesquelles les régimes autoritaires s’appuient pour maintenir leur domination :

    1. L’autorité : fondée sur la croyance populaire en la légitimité du pouvoir.

    2. Les ressources humaines : ceux qui exécutent les ordres (armée, police, fonctionnaires).

    3. Les compétences et connaissances : experts techniques indispensables au fonctionnement quotidien du régime.

    4. Les ressources matérielles : finances, infrastructures, moyens de transport et de communication.

    5. Les facteurs immatériels : traditions, valeurs culturelles ou religieuses qui favorisent l’obéissance.

    6. Les sanctions : menaces de répression et de punition en cas de désobéissance.

    Le génie stratégique de la non-violence réside précisément dans la prise de conscience que chacune de ces ressources ne peut exister sans l’assentiment direct ou indirect de la population. Dès lors que cette dernière retire son consentement, ces piliers deviennent fragiles et susceptibles de s’écrouler.

    L’un des concepts fondamentaux abordés par CANVAS est celui de l’« obéissance passive », souvent imposée par la peur ou la résignation. Selon les auteurs, les citoyens obéissent pour diverses raisons : l’habitude profondément ancrée, l’intérêt personnel (emplois, bénéfices économiques), la peur des sanctions, l’indifférente résignation ou encore le manque de confiance en soi. La stratégie non violente consiste ainsi à identifier ces motifs d’obéissance pour les déconstruire méthodiquement et progressivement.

    Pour CANVAS, briser l’obéissance ne signifie pas inciter au chaos, mais restaurer la capacité des citoyens à agir consciemment et courageusement contre l’injustice. Cette reconquête passe par un travail de pédagogie politique et psychologique intensif : rappeler aux gens leur pouvoir réel, leur redonner confiance en leur capacité à changer leur société, et démontrer par des exemples concrets que le régime autoritaire est loin d’être invincible.

    Un exemple emblématique cité dans le manuel est celui de la Serbie, où le mouvement Otpor! a progressivement sapé la crédibilité du régime de Slobodan Milosevic en déconstruisant le mythe de sa toute-puissance. En exposant de manière visible et humoristique les contradictions du pouvoir, en démystifiant les sanctions (comme l’arrestation ou les violences policières), Otpor! a transformé la peur en courage collectif.

    Cette approche pédagogique de la désobéissance civile permet de cibler efficacement les différentes catégories sociales : militaires, policiers, fonctionnaires, travailleurs et étudiants. Chaque groupe possède des raisons spécifiques de soutenir le régime. Ainsi, CANVAS enseigne comment personnaliser la communication en direction de chaque groupe pour mieux rompre leur loyauté envers l’autorité en place.

    La stratégie CANVAS propose également un outil opérationnel : la « loyalty pie » (« tarte des loyautés »). Cet outil analytique permet aux militants d’identifier précisément les sources et les mécanismes de l’obéissance chez les individus et les groupes sociaux, et d’orienter ainsi les actions vers le basculement progressif de ces loyautés au bénéfice du mouvement dissident.

    Finalement, CANVAS insiste sur le fait que la désobéissance civile est un processus méthodique et structuré, bien loin d’une simple révolte spontanée ou anarchique. C’est une véritable bataille d’idées, une lutte psychologique et stratégique qui, bien menée, peut briser l’illusion de toute-puissance d’un régime autoritaire. Comme le résume Gene Sharp, figure tutélaire de CANVAS : « si les gens cessent d’obéir, le régime cesse de régner. »

    Les piliers du soutien : comment déstabiliser efficacement un régime autoritaire selon la méthode CANVAS

    L’une des clés majeures du succès d’une lutte non violente réside dans la capacité du mouvement à identifier précisément et à affaiblir méthodiquement ce que CANVAS nomme les « piliers du soutien ». Ces piliers ne sont autres que les institutions et les groupes sociaux essentiels sur lesquels un régime autoritaire s’appuie pour maintenir et étendre son contrôle. La méthode CANVAS, inspirée des théories de Gene Sharp, offre ainsi une approche particulièrement fine et opérationnelle pour déstructurer ces soutiens stratégiques et accélérer la chute d’un pouvoir oppressif.

    Concrètement, les piliers du soutien incluent généralement les forces armées, les services de police, les institutions judiciaires, la bureaucratie étatique, les médias, les établissements d’enseignement, les organisations religieuses, ainsi que les milieux économiques et les acteurs influents de la société civile. Chaque pilier constitue un maillon indispensable à la survie du régime ; priver celui-ci de l’un d’eux, ou même simplement en affaiblir certains aspects, peut provoquer des effets en chaîne dévastateurs pour son équilibre global.

    Le manuel CANVAS insiste particulièrement sur l’importance stratégique de « tirer » progressivement les individus hors de ces piliers, plutôt que de les y pousser davantage. En d’autres termes, la lutte non violente doit éviter de provoquer une solidarité défensive des membres de ces institutions autour du régime, notamment par des actes violents ou perçus comme agressifs. À l’inverse, elle doit séduire, convaincre ou du moins semer le doute et la division au sein même de ces piliers pour les affaiblir progressivement.

    Dans cette perspective, la police et l’armée occupent une place centrale. Historiquement, aucun régime autoritaire ne peut résister longtemps à la perte de loyauté de ses forces de sécurité. CANVAS recommande ainsi de cibler particulièrement les rangs inférieurs et intermédiaires des institutions sécuritaires, généralement plus réceptifs aux messages des mouvements citoyens. En Serbie, par exemple, le mouvement Otpor! a mis en œuvre des campagnes de communication spécifiques pour rappeler aux policiers qu’ils étaient avant tout des pères, des frères, des citoyens ordinaires partageant les mêmes souffrances que les manifestants. Cette approche empathique a fortement réduit la volonté de répression des forces de sécurité, conduisant à une neutralisation de leur rôle répressif et, à terme, à la chute de Milosevic.

    Autre pilier stratégique, les médias constituent une cible prioritaire des régimes autoritaires qui les utilisent comme outils de propagande et de contrôle social. Le manuel CANVAS souligne donc la nécessité de créer des canaux alternatifs d’information, qu’il s’agisse de radios clandestines, de journaux indépendants, de réseaux sociaux ou encore de diffusion de tracts et d’affiches dans les espaces publics. À titre d’exemple, lors de la Révolution orange en Ukraine en 2004, les dissidents avaient réussi à contourner la censure du pouvoir grâce à l’usage habile d’internet et de SMS, permettant ainsi de diffuser massivement leurs messages auprès d’une population lassée par la désinformation officielle.

    Le secteur éducatif représente également un pilier clé, car les étudiants, jeunes et idéalistes, souvent libérés des contraintes familiales et professionnelles immédiates, constituent traditionnellement une force de mobilisation importante. En sensibilisant professeurs et étudiants aux injustices du régime, le mouvement peut déclencher une mobilisation dont l’effet d’entraînement touche souvent l’ensemble de la société civile, notamment les familles des jeunes engagés.

    Le monde économique enfin, pragmatique et souvent soucieux de stabilité, peut rapidement tourner le dos à un régime qui devient trop coûteux économiquement ou politiquement. CANVAS invite ainsi les activistes à démontrer clairement aux milieux d’affaires que leur intérêt à moyen terme sera mieux servi par un changement politique. Les campagnes ciblées de boycott ou de non-coopération économique (arrêts de travail coordonnés, ralentissements volontaires de production, retraits de fonds bancaires) peuvent alors inciter les acteurs économiques à se désolidariser du pouvoir autoritaire.

    Cette approche précise, nuancée, fondée sur la psychologie et les intérêts réels des acteurs clés, constitue l’une des grandes forces du manuel CANVAS. Elle permet de dépasser les approches frontales et simplistes, souvent vouées à l’échec, pour construire une stratégie d’érosion interne du pouvoir, réaliste, méthodique et efficace.

    Méthodes concrètes de lutte non violente selon CANVAS : protestation, non-coopération et intervention

    La lutte non violente, telle que définie par le manuel de référence du CANVAS, ne se limite ni à la protestation symbolique ni à la mobilisation passive. Elle constitue au contraire une boîte à outils complète et pragmatique, organisée autour de trois grandes catégories de méthodes concrètes : la protestation et la persuasion, la non-coopération et l’intervention. Chaque catégorie possède ses spécificités, son efficacité propre, mais également ses risques particuliers.

    1. Protestation et persuasion : la force du symbole

    La protestation constitue souvent le point d’entrée privilégié d’un mouvement non violent. Elle inclut des méthodes telles que les marches pacifiques, les rassemblements, les sit-in silencieux, l’affichage massif de messages contestataires, le port symbolique de vêtements ou d’accessoires distinctifs, les manifestations artistiques, ou encore les campagnes virales sur les réseaux sociaux.

    Ces méthodes visent avant tout à alerter l’opinion publique, à exposer les injustices commises par le régime, et à diffuser largement les revendications du mouvement. CANVAS souligne que la protestation et la persuasion, bien qu’essentielles, ne suffisent généralement pas seules à obtenir le changement. Elles constituent toutefois une étape cruciale pour mobiliser les citoyens, créer un sentiment de solidarité, et affirmer publiquement une contestation qui rend impossible à ignorer par le pouvoir.

    Un exemple emblématique cité par CANVAS reste celui du mouvement Otpor! en Serbie : l’usage répété et créatif de l’humour, à travers notamment des parodies publiques et le célèbre logo représentant un poing levé stylisé, a permis d’ébranler profondément la légitimité et le sérieux du régime de Milosevic.

    2. Non-coopération : paralyser le régime en lui retirant son oxygène

    Plus offensive et nettement plus impactante, la non-coopération vise à retirer au régime les ressources économiques, administratives, humaines ou matérielles indispensables à sa survie. Il s’agit par exemple d’organiser des grèves générales ou sectorielles, des boycotts massifs de produits ou d’entreprises affiliées au régime, ou encore des mouvements de désobéissance civile comme le refus collectif de payer certaines taxes ou de respecter certaines lois injustes.

    CANVAS précise que ces méthodes requièrent souvent une participation massive pour être pleinement efficaces, mais elles peuvent aussi produire des résultats spectaculaires avec relativement peu d’acteurs clés engagés (par exemple, les travailleurs du secteur des transports ou de l’énergie). En paralysant progressivement les infrastructures clés du régime, la non-coopération rend ce dernier de plus en plus vulnérable, précipitant souvent sa chute.

    C’est précisément ce qu’ont démontré les mouvements syndicaux polonais durant les années 1980 : en paralysant des secteurs entiers de l’économie communiste, Solidarnosc a provoqué une crise interne profonde et accéléré le démantèlement du régime en place.

    3. Intervention non violente : l’action directe pour déstabiliser le régime

    Cette troisième catégorie, particulièrement audacieuse, concerne des actions directes telles que le blocage stratégique d’infrastructures (routes, bâtiments administratifs), la création d’institutions parallèles alternatives (écoles clandestines, médias alternatifs), les occupations pacifiques, ou encore les sit-in dans des lieux symboliquement forts.

    Les méthodes d’intervention peuvent générer des effets immédiats et très visibles, tout en perturbant durablement les opérations quotidiennes du régime. Toutefois, CANVAS avertit clairement que ces méthodes, bien que puissantes, comportent des risques accrus : répression violente, arrestations massives, ou tentatives de manipulation par le régime. Elles nécessitent donc des militants particulièrement déterminés, formés et disciplinés.

    L’occupation pacifique de la place Tahrir au Caire en 2011 demeure une illustration remarquable de la force de ces méthodes d’intervention. En occupant pendant plusieurs semaines un lieu central, les militants égyptiens ont empêché le régime de Moubarak de reprendre le contrôle, attirant l’attention mondiale et mettant une pression maximale sur le pouvoir.

    Le choix stratégique des méthodes selon CANVAS

    Selon CANVAS, le succès d’un mouvement réside dans sa capacité à choisir soigneusement la combinaison appropriée de ces trois catégories, en fonction du contexte local, du rapport de force initial, du degré de répression attendu, et du niveau de préparation des militants. La bonne méthode au bon moment peut faire basculer l’issue d’une lutte : une simple marche pacifique peut suffire à démarrer une mobilisation massive, tandis qu’une grève ou un boycott ciblé peut faire basculer des acteurs économiques ou institutionnels essentiels vers le camp des dissidents.

    Gérer le mouvement dissident : leadership, peur et sécurité selon la stratégie CANVAS

    Une lutte non violente efficace ne repose pas uniquement sur des méthodes ou des stratégies extérieures visibles : elle dépend également d’un solide travail organisationnel interne. Le manuel CANVAS insiste fortement sur trois dimensions critiques de cette gestion opérationnelle : la structuration du leadership, la gestion psychologique de la peur et la mise en place d’une solide culture de sécurité.

    Un leadership structuré : entre discipline collective et créativité individuelle

    Selon CANVAS, la solidité d’un mouvement repose sur sa capacité à cultiver un leadership distribué, adaptable et inspirant. À rebours de l’image traditionnelle d’un leader charismatique unique, le manuel privilégie une direction collégiale, décentralisée et disciplinée. L’objectif est d’éviter que le régime puisse facilement décapiter le mouvement en arrêtant ou neutralisant ses dirigeants principaux.

    Le leadership, dans l’approche CANVAS, ne doit pas dépendre d’une personnalité dominante mais d’une vision partagée par tous. Les leaders doivent être à la fois stratèges, communicateurs efficaces, pédagogues et modèles de discipline non violente. Leur tâche est de maintenir la cohésion du mouvement, de former continuellement de nouveaux militants, et surtout, de garantir que chaque membre adhère fermement au principe de non-violence, condition absolue de succès selon la méthodologie de CANVAS.

    Le manuel cite à ce titre l’exemple de Solidarnosc en Pologne : malgré l’emprisonnement de ses figures majeures, le mouvement a su maintenir son unité et son efficacité grâce à la dispersion intelligente du leadership et une forte solidarité interne.

    La gestion psychologique de la peur : du courage individuel à la force collective

    La peur constitue l’un des plus grands défis internes auxquels tout mouvement non violent doit faire face. Selon CANVAS, aucun mouvement ne peut réussir durablement sans avoir préalablement confronté ce sentiment naturel, inévitable en présence d’un régime répressif prêt à user de la violence physique ou psychologique pour maintenir son pouvoir.

    Pour gérer efficacement la peur, le manuel préconise plusieurs techniques concrètes. D’abord, former les militants à anticiper les réactions répressives, afin de ne jamais être pris au dépourvu par la brutalité du régime. Ensuite, utiliser systématiquement l’humour, la créativité et la dérision pour ridiculiser le pouvoir, désamorcer les tensions et réduire ainsi l’impact psychologique de la peur. Enfin, CANVAS insiste sur la solidarité interpersonnelle : une peur partagée et exprimée ouvertement devient un sentiment collectif, maîtrisable et transformable en courage.

    C’est cette approche précisément que le mouvement Otpor! a mis en pratique avec succès en Serbie : en tournant constamment en dérision le pouvoir de Milosevic, le mouvement a contribué à transformer la peur paralysante en une énergie positive d’action collective.

    La sécurité opérationnelle : protéger le mouvement de l’intérieur

    La sécurité est le dernier élément organisationnel crucial identifié par CANVAS. Tout mouvement dissident doit anticiper les tentatives d’infiltration, d’espionnage, ou encore de sabotage interne par les autorités. CANVAS recommande ainsi une vigilance permanente associée à des mesures opérationnelles strictes : compartimenter les informations sensibles, limiter la diffusion des plans d’action aux seuls membres directement concernés, et former continuellement les militants à détecter et gérer toute tentative de contamination interne par des provocateurs ou informateurs.

    Le manuel explique clairement qu’une culture solide de la sécurité ne doit pas engendrer la paranoïa mais au contraire renforcer la confiance interne entre militants. L’objectif est de protéger les ressources vitales du mouvement tout en conservant une dynamique ouverte, capable d’intégrer facilement de nouveaux membres sans mettre en péril la sécurité globale.

    Cette culture de sécurité s’est révélée décisive dans de nombreuses luttes, comme en Afrique du Sud sous l’apartheid, où l’ANC a maintenu son efficacité malgré une répression massive, grâce à une structuration interne exemplaire.

    Conclusion : une discipline organisationnelle garante de succès

    Ainsi, pour CANVAS, ces dimensions organisationnelles – leadership distribué et résilient, gestion proactive de la peur et culture rigoureuse de sécurité – constituent des conditions essentielles de succès. Sans elles, même les stratégies les plus brillantes ou les méthodes les plus audacieuses risquent d’échouer face à la détermination impitoyable des régimes autoritaires.

    En combinant méthodiquement ces aspects internes à une lutte externe innovante et adaptée, les mouvements non violents augmentent considérablement leurs chances d’atteindre l’objectif ultime : la chute d’un régime autoritaire et la transition vers une société libre et démocratique.

    Voir : https://canvasopedia.org/

    Commenter ailleurs : [Sur X]

    Frédéric Bascuñana
    Frédéric Bascuñanahttps://politoscope.fr
    Entrepreneur, citoyen engagé. J’observe avec tristesse mon pays perdre son honneur sous les exactions d’une caste cynique. Retrouvons notre dignité collective.

    Latest articles

    LAISSER UN COMMENTAIRE

    S'il vous plaît entrez votre commentaire!
    S'il vous plaît entrez votre nom ici

    Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

    Related articles

    Les racines du Mal – « La Marche Rouge », au-delà des Lumières, l’histoire interdite. Avec Marion Sigaut.

    Présentation Rencontre avec Marion Sigaut - animée en direct par Frédéric Bascuñana. L'histoire n'est jamais une science morte. Je la vois plutôt comme une braise immense, recouverte par la cendre épaisse des récits officiels, des mensonges...

    Marion Saint-Michel : « ils ne sont pas incompétents, leurs objectifs sont inhumains »

    Source : (Université d'Eté de la Résistance Dimanche 2025 14 septembre 2025)(1ère vidéo : à partir de 01:03:00 ; 2ème vidéo) Au-delà de la colère ou du sentiment d'impuissance face aux crises que nous traversons,...

    PPE3, L’insupportable trahison énergétique – analyse critique en 10 Points Clés

    (mise à jour importante : cette analyse, produite quelques jours avant le départ poisseux du premier ministre François Bayrou le 8 septembre 2025, reste plus que je jamais nécessaire en dépit du fait que...

    Manifeste du PIC : « Pirater le système », le plan radical d’un mouvement émergeant pour rendre le pouvoir au peuple

    Nous vivons sous le joug d'une oligarchie élective qui a perfectionné l'art de notre impuissance. Ce sentiment qui vous étreint n'est pas une fatalité, mais le résultat d'une ingénierie sociale sophistiquée. Face à...

    10 grands principes philosophiques, moraux et sociétaux capables de nous rassembler

    Une petite pépite trouvée sur X et publiée par le collectif de réinformation « mammie Bocock », qui propose « 5 principes philosophiques, moraux et sociétaux capables de nous rassembler ». En hommage à cette démarche stimulante, nous...